Exposition aux ondes : l’ANFR publie une carte violette, les médias voient du vert et la science voit rouge !
L’Agence Nationale des Fréquences (ANFR) a récemment mis en ligne une carte interactive présentant les « niveaux d’exposition calculés par modélisation » aux ondes électromagnétiques sur le territoire français.
Cette initiative, saluée par de nombreux médias comme un outil de réassurance pour le public, mérite cependant une analyse approfondie et nuancée.
Une interprétation médiatique discutable
Les commentaires de certains médias accompagnant cette publication suivent généralement une logique rassurante. Comme l’indique Univers Freebox : « Si vous avez peur d’être bombardés d’ondes, ce nouvel outil devrait être en mesure de vous rassurer. »
La Dépêche souligne quant à elle que « les valeurs limite réglementaires sont comprises entre 36 et 61 V/m selon les fréquences utilisées » et conclut que « pour l’essentiel du territoire, les niveaux simulés apparaissent beaucoup plus faibles et ne présentent aucun danger. »
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Une faille logique fondamentale
Cette conclusion mérite d’être examinée selon les principes de la logique scientifique.
Dans sa FAQ, l’ANFR précise effectivement que les seuils réglementaires (36-61 V/m selon la fréquence) « permettent d’assurer une protection contre les effets avérés des champs électromagnétiques radiofréquences.«
Il est donc établi qu’au-delà de ces valeurs, des effets nocifs sont documentés et reconnus.
Cependant, conclure qu’en-deçà de ces limites, les ondes électromagnétiques « ne présentent aucun danger » relève d’un sophisme scientifique particulièrement troublant.
Ce raccourci intellectuel fait l’impasse sur deux réalités fondamentales : d’une part, l’imposant volume de recherches scientifiques actuellement menées sur les effets biologiques des expositions chroniques à faible dose, et d’autre part, les avertissements récurrents émis par diverses autorités sanitaires qui insistent sur l’application rigoureuse du principe de précaution.
Une telle simplification ne résiste pas à l’analyse scientifique et soulève de sérieuses questions quant à la rigueur de l’information transmise au public. Merci qui ? Merci Univers Freebox !!
Les angles morts de la cartographie ANFR : ce que la carte ne vous montre pas
Voyons donc ensemble ce que propose réellement l’ANFR. Lorsqu’on accède à cartoradio.fr et qu’on active la fonction de simulation, une fenêtre popup apparaît, proposant un lien vers une FAQ détaillée.

L’examen attentif de cette FAQ révèle plusieurs limitations significatives du modèle utilisé. Ces restrictions, inhérentes à toute modélisation numérique d’un phénomène complexe, doivent être clairement comprises pour une interprétation correcte des données visualisées.
Sans cette mise en perspective, la carte pourrait donner l’impression trompeuse d’une représentation exhaustive de notre exposition aux ondes électromagnétiques.
Une représentation partielle des sources d’exposition
Simulation limitée à l’environnement extérieur : L’exposition est uniquement évaluée en milieu extérieur, alors que nous passons la majorité de notre temps en intérieur.
Prise en compte restreinte des émetteurs : Seuls les émetteurs radiofréquences autorisés par l’ANFR et implantés sur le territoire français sont considérés.
Exclusion des sources de proximité : La carte ne tient pas compte des centaines d’émetteurs personnels qui constituent pourtant la part prépondérante de notre exposition quotidienne :
- Téléphones mobiles (souvent la source d’exposition la plus significative)
- Émetteurs WiFi des équipements domestiques (box internet, ordinateurs, imprimantes, dispositifs de surveillance)
- Périphériques Bluetooth (oreillettes sans fil notamment)
Omission de certaines catégories d’émetteurs : Les installations militaires, aéronautiques, policières, les radars de véhicules et les télécommunications satellitaires sont également absentes de cette modélisation.
Une représentation partielle du spectre électromagnétique
La carte se concentre uniquement sur les radiofréquences, omettant notamment les basses fréquences, pourtant considérées comme tout aussi préoccupantes par nos autorités sanitaires.
Quelques lacunes techniques significatives
Variabilité temporelle non représentée
Dans mon article de décembre 2020 intitulé « La pollution électromagnétique (HF) évaluée en continu dans 3 villes françaises », j’avais salué l’initiative de l’ANFR qui, en collaboration avec la société EXEM, avait mis en place un système de mesure continue des ondes.
L’analyse de ces données avait révélé un phénomène significatif : une variabilité diurne des niveaux d’exposition pouvant atteindre un facteur 4,5. Cette fluctuation considérable selon l’heure de la journée est totalement absente de la carte actuelle, qui présente une vision statique de l’exposition.
L’ANFR précise néanmoins que « la puissance des émetteurs prise en compte repose d’une part sur la puissance maximale déclarée par l’opérateur lors de sa demande d’autorisation et d’autre part sur des facteurs de charge définis dans les lignes directrices de l’ANFR. » Théoriquement, la simulation devrait donc représenter une estimation maximisée de l’exposition réelle – une précaution méthodologique qui, à défaut de refléter la complexité temporelle du phénomène, offre au moins une certaine marge de sécurité.
Complexité du beamforming 5G insuffisamment modélisée
La technologie 5G utilise le « beamforming », technique qui concentre la puissance rayonnée dans des faisceaux étroits (environ 30° d’ouverture) dirigés vers les utilisateurs, contrairement aux antennes 4G dont l’émission est relativement uniforme sur un secteur de 65° à 120°.
Pour illustrer cette différence, on peut établir l’analogie suivante qui parlera aux titulaires du permis bateau :
- La 4G fonctionne comme un « feu à secteur » éclairant uniformément toute une zone
- La 5G s’apparente davantage à un « phare tournant » dont le faisceau concentré balaie l’horizon
Dans sa documentation, l’ANFR aborde cette spécificité technique avec une certaine économie de détails, indiquant simplement que « les simulations combinent les émissions à faisceaux fixes et, statistiquement, celles à faisceaux orientables« .
Cette approche diffère notablement de celle adoptée en Suisse, où un facteur de correction de -10 dB a été officiellement intégré dans les calculs réglementaires pour les antennes 5G utilisant le beamforming.
Ce choix méthodologique suisse, qui réduit mathématiquement la puissance théorique considérée par un facteur 10 dans les simulations d’exposition, continue de susciter d’intenses controverses juridiques. En effet, selon les dernières décisions du Tribunal fédéral suisse en 2024 et début 2025, l’application de ce facteur de correction constitue une modification substantielle nécessitant une nouvelle procédure d’autorisation de construction complète. Cette jurisprudence a d’ailleurs contraint les opérateurs à revoir des milliers d’installations déjà déployées, créant une situation d’insécurité juridique qui perdure.
La discrétion de l’ANFR concernant sa propre méthodologie de modélisation des faisceaux orientables soulève des questions légitimes quant à la transparence des évaluations d’exposition.
Une clarification des hypothèses de calcul permettrait aux experts indépendants d’évaluer plus rigoureusement la pertinence des résultats présentés, particulièrement dans un contexte où l’expérience suisse démontre la complexité technique et juridique liée à ces choix méthodologiques.
Réflexion sur l’échelle de couleurs et les valeurs limites d’exposition
Il est essentiel de rappeler que les valeurs limites réglementaires varient considérablement selon les pays :
Pays | Limite d’exposition (V/m) | Commentaires |
---|---|---|
France, Allemagne, majorité UE | 61 V/m à 3,5 GHz | Basé sur les recommandations ICNIRP |
Belgique (Bruxelles) | 6 V/m (toutes fréquences cumulées) | Parmi les plus strictes d’Europe |
Italie | 6 V/m (lieux sensibles), 20 V/m (général) | Distinction selon l’usage des lieux |
Pologne | 7 V/m | Héritage de la réglementation soviétique |
Suisse | 6 V/m (limite d’installation) | Pour les lieux à utilisation sensible |
Lituanie | 0,61 V/m à 3,5 GHz | 100 fois plus stricte que l’ICNIRP |
Par ailleurs, la « Baubiologie allemande », discipline étudiant l’impact de l’environnement bâti sur la santé, recommande des seuils encore plus stricts. La norme SBM-2015 préconise ainsi une valeur maximale de 0,06 V/m dans les zones de repos, soit 1000 fois moins que la limite officielle française.
Conclusion
La carte développée par l’ANFR constitue un travail technique louable et bien documenté.
Cependant, son interprétation requiert prudence et expertise. Présentée sans les nuances nécessaires, elle pourrait effectivement rassurer quant à la nocivité des ondes, mais une analyse rigoureuse ne permet pas de tirer de conclusions définitives concernant l’innocuité des expositions à long terme.
Il serait pertinent de visualiser ces mêmes données selon différentes échelles, notamment celles adoptées en Suisse ou en Lituanie, afin d’observer comment la représentation cartographique en serait modifiée. Peut-être que nos journalistes verraient la carte plus « rouge » ?

J’invite donc les personnes intéressées à se joindre à moi pour contribuer à la création d’une carte alternative dès que les données sources seront accessibles.

Ensemble, nous pourrons offrir une perspective complémentaire et plus nuancée sur cette question cruciale de santé publique qui mérite une approche scientifique rigoureuse plutôt qu’un traitement médiatique simpliste.